De la vallée de l’Essonne

De la vallée de l’Essonne
À Ondreville-sur-Essonne, au bord de la rivière, il n'est pas rare de croiser quelques tracteurs.
À Ondreville-sur-Essonne, au bord de la rivière, il n'est pas rare de croiser quelques tracteurs. LP/Jean-Baptiste Quentin

Par Yves Jaeglé Le 12 juin 2021 à 12h12

C’est comme passer une frontière. Apercevoir un agriculteur sur son tracteur arrosant un champ immense, et cent mètres plus loin, découvrir le panneau « Loiret » : adieu l’Essonne et l’Île-de-France. On est venu voir une toute petite rivière qui donne son nom à un très grand département, et nous voilà sur un plateau calcaire à perte de vue, avec ses champs de colza d’un jaune incandescent au printemps. Dans la plaine, on ne croise personne à pied, mais en voiture, c’est beau comme un western d’emprunter ces interminables petites routes rectilignes où il est difficile de se croiser.

De loin en loin, une ferme isolée, comme un ranch. Pour (re) trouver le GR32, qui va de la vallée de la Seine à celle de la Loire, et peut même mener les randonneurs jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle, il faut quitter le plateau, trouver les villages, apercevoir les clochers, descendre.

Et au milieu coule une rivière… L’expression est littéralement juste : « Au milieu du plateau, la rivière est une oasis qui rompt la monotonie du paysage, comme une saignée ou une coulée verte », explique Emmanuel Camplo, qui gère le syndicat associatif protégeant le ou plutôt les cours d’eau : l’Essonne naît ici de deux rivières aux allures de discrets filets d’eau, l’Œuf et la Rimarde.

Cours d’eau entremêlés

Œuf viendrait de « Eff », à l’époque où « f » et « s » s’écrivaient presque pareil, d’où l’Essonne. À Estouy, où le sentier de randonnée suit enfin l’eau — car les marais l’en écartent très souvent et l’on encourage plutôt des sauts de puce en voiture et des flâneries sur les rives, qui ne sont pas publiques partout — Emmanuel Camplo, qui nous parle dans un concert de croassements de grenouilles en pleine reproduction, devant le Moulin de la Porte qui abrite le SMORE (Syndicat mixte de l’Œuf, de la Rimarde et de l’Essonne), a reconstitué un marais labellisé Espace naturel sensible depuis fin 2018.

Dans sa salle de réunion campe une chauve-souris. Prière de ne pas la déranger, la fenêtre reste ouverte pour que cette solitaire puisse retrouver sa colonie. Une cigogne a été aperçue la veille. Ne pas se presser, rester aux aguets. La vallée de l’Essonne, frontière entre la Beauce et le Gâtinais, fait partie des deux grands couloirs migrateurs de la région avec celle du Loing.


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On avance, plutôt en voiture, même s’il existe de nombreux sentiers, car la naissance même de l’Essonne issue de ses deux affluents se trouve géographiquement sur les terres du prince Murat, descendant du héros napoléonien, dont on contemple le château depuis la route à Aulnay-la-Rivière.

Ce nom générique dit bien à quel point il est difficile de distinguer ces cours d’eau entremêlés. On descend enfin voir l’Essonne et ses lavoirs d’antan. On s’en faisait un monde, ayant grandi dans le département. La voici en Amazone verte miniature, qui se jettera dans la Seine dès Corbeil-Essonnes. Un petit tour, quelques boucles et puis s’en va.

Mais soudain, la magie des vieilles pierres ou plutôt du vieux bois qui parle. Encore un moulin, celui de Châtillon, resté dans son jus depuis le départ du dernier meunier en 1959. À l’étage, son lit défait donne l’impression qu’il vient de se lever. À côté du tub, l’ancêtre de la baignoire, et d’une machine à coudre qui n’a pas bougé, pour coudre les sacs de farine. Soudain projeté dans un passé qui semble respirer.

« Il y a un moulin tous les kilomètres »

L’Asamec, association de sauvegarde et des amis du moulin à eau de Chatillon, rêve d’en faire un musée du pain. « Il n’en existe aucun en France », lâche Gérard Viron, secrétaire de l’association, qui fait visiter le moulin quelques fois par an, et sur rendez-vous.

Le travail de restauration est en cours. La roue tourne, mécanisme fantastique, gigantesque dans ce mouchoir de poche de la rivière. « Il y a un moulin tous les kilomètres le long de l’Essonne. C’est le dernier avec une roue opérationnelle. L’idée, c’est de faire de la farine, pour l’animer. On produit du pain pour des fêtes locales, on a un four à l’ancienne, tout marche », sourit ce dernier.

L'association de sauvegarde et des amis du moulin à eau de Chatillon rêve d’en faire un musée du pain.
L'association de sauvegarde et des amis du moulin à eau de Chatillon rêve d’en faire un musée du pain. LP/Jean-Baptiste Quentin

Le maire d’Ondreville, la commune du moulin, passe aussi. Ils ont les yeux brillants, heureux d’avoir sauvé l’édifice avec les moyens du bord, un charpentier dans l’équipe, et quelques aides. Un patrimoine rural aussi fragile que précieux. L’Essonne se cache, mais quand on l’apprivoise, elle réveille la mémoire. Meunier tu dors, ton moulin va revivre.

Renseignements auprès de Grand Pithiverais Tourisme : www.grandpithiverais.fr. Animations du SMORE, [email protected]. Moulin de Châtillon : asamec.wordpress.com

ON DÉCOUVRE… le musée de l’imprimerie, de Gutenberg à « Salut les Copains »

À Malesherbes, la visite de l'atelier-musée de l'Imprimerie est incontournable.
À Malesherbes, la visite de l'atelier-musée de l'Imprimerie est incontournable.  LP/Jean-Baptiste Quentin

Malesherbes, à 1,5 km de l’Essonne, tout au bout du RER D. La ville doit son nom au premier grand libraire du roi, esprit libre qui soutint à la fois Diderot et D’Alembert pour leur encyclopédie iconoclaste, et Louis XVI lors de son procès. Ce qui valut à Malesherbes d’être guillotiné à son tour. Sur ces terres de lettres se tiennent aussi les imprimeries Maury, qui ont donné un de leurs entrepôts pour la création de l’Atelier-musée de l’imprimerie (AMI), lieu associatif ouvert en octobre 2018. Environ 150 machines y sont exposées, dont certaines fonctionnent, de Gutenberg — la seule qui a été refaite à l’identique, tout le reste est d’origine — jusqu’à l’impression contemporaine.


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On découvre l’une des cinq presses originales de Balzac, lui qui fut imprimeur pendant deux ans et fit faillite, se surnommant lui-même « l’homme de lettres de plomb », et l’apparition des premiers claviers à la fin du XIXe siècle. « La presse française était la première du monde avec les États-Unis au début du XXe siècle, les journaux avaient quatre ou cinq éditions par jour », rappelle Jean-Marc Providence, concepteur de ce musée très bien conçu, qui mêle machines, histoire de l’imprimerie et de la presse, vieux livres, éditions originales des premiers dictionnaires, numéros anciens de « Pif gadget » ou « Salut les copains ».

Actuellement, l’exposition « Le temps des vinyles », avec ses pochettes, ses costumes de scène de Johnny ou Mike Brant, ses jukebox que l’on peut faire marcher avec les tubes yéyé, donnent vraiment envie de venir, tout au bout de l’Île-de-France et même un peu après.

L’Atelier-musée de l’imprimerie, à Malesherbes (Loiret).

ON RENCONTRE… le patron des plus beaux villages de France

À Yèvres-le-Châtel, classé parmi les plus beaux villages de France, le maire délégué, Alain Di Stefano, veille sur les vieilles pierres.
À Yèvres-le-Châtel, classé parmi les plus beaux villages de France, le maire délégué, Alain Di Stefano, veille sur les vieilles pierres. LP/Jean-Baptiste Quentin

Yèvre-le-Châtel, à 90 km de Paris, est dominé par sa forteresse médiévale et son église mangée par l’herbe et le ciel, curieusement jamais achevée (NDLR : car le royaume n’eut plus besoin de se défendre contre la Bourgogne et l’édification d’une seconde église n’était plus nécessaire). Avec ses venelles restaurées et fleuries, elle doit beaucoup à un homme, Alain Di Stefano, maire délégué du village, président de diverses associations dont celle des plus beaux villages de France, dont le sien fait partie. « Ici se tenait le siège de la justice royale », dit-il fièrement. Ce bourg de 231 habitants est traversé par la Rimarde, la rivière qui donnera naissance à l’Essonne.

L’ancienne forteresse militaire ne défend plus que ses roseraies et son cimetière romantique, ode à la flânerie. « J’ai pensé que ce village pouvait retrouver un second souffle, huit siècles après », explique cet infatigable pèlerin, Parisien, qui bichonne son village d’adoption autrefois à l’abandon. Tous les bas de murs y sont végétalisés. « J’ai fait du porte-à-porte pour rouvrir les venelles, autrefois encombrées de déchets et poubelles », confie l’édile qui a convaincu chaque habitant de le suivre pour redonner sa gloire au « dernier promontoire rocheux avant la plaine de Beauce ».

Cet amoureux des hameaux et bourgades prend son rôle de juge de paix des plus beaux villages de France avec le plus grand sérieux : « On a déclassé autant qu’on a classé », lâche dans un sourire gourmand le magistrat intraitable. Yèvre-le-Châtel ne risque pas de se laisser aller, Alain Di Stephano ne le supporterait pas. Et il a bien raison, tant ces vieilles pierres fleuries donnent le sentiment de humer un passé médiéval.

Renseignements : les Compagnons de la Châtellenie à l’adresse mail [email protected]

ON EN PROFITE pour…

… savourer un Pithiviers. Certains comparent le pithiviers, le gâteau local qui a même ses confréries, à la galette des rois. Crime de lèse-majesté. Le pithiviers est beaucoup plus léger, qu’il soit glacé — notre préféré, mais le nappage doit être parfait pour le contraste des goûts — ou pas. On le savoure toute l’année dans le Loiret où il reste une institution. Les puristes soutiennent que sa « vraie » version n’est pas feuilletée, mais fondante. Ses origines remonteraient aux Romains, qui fabriquaient des galettes, quand Pithiviers était un lieu d’échanges commerciaux. Ce mélange de sucre, de beurre, d’œufs et de poudre d’amande, en quantités égales comme pour le quatre-quarts, selon un grand maître, ne doit donner aucune sensation de lourdeur ni de sécheresse. Le tour de force d’une pâtisserie ancienne qui semblerait bourrative mais doit avoir la grâce légère d’un entremets.

… la route de la rose. Dans le Loiret, la rose est une science, dont la floraison s’admire de mai à septembre. Un circuit a été conçu autour de 16 parcs, jardins et producteurs, de La Neuville-sur-Essonne, où cette rivière prend sa source, jusqu’à Meung-sur-Loire. Une route qui passe par des châteaux comme celui de la Bussière, près de Briare, ou à Orléans Saint-Jean-Le Blanc. On suit l’eau, dans l’ordre ou le désordre, des canaux du Loing, d’Orléans et de Briare, jusqu’à la Loire elle-même. Renseignements : www.routedelarose.fr.